B I E N V E N U E

Sur le site de Marc Biderbost

Artiste, Créaticien, Enseignant

 

Cully Jazz Festival 2006

e journal poétique du Cully Jazz Festival 2006

Marc Biderbost / 24 mars au 1 avril

L’avant début

Le jazz frappe à ma porte … 

Ou, plutôt, je franchis la porte du bureau principal au cœur de Cully. Pas n’importe lequel, celui des sourires accueillants et chaleureux. Décidément, cette cuvée 2006 s’annonce sous de bien favorables auspices.

Premières formalités administratives, premiers contacts. La voix chantante de la Belle Province intègre sans autre l’ami d’un jour.

Et s’ouvre le portail du jazz …

Le premier soir (vendredi)

Mes pas esquissent une série d’entrechats pour passer d’une goutte à l’autre. La pluie tiède coule doucement sur mes joues. De porte en porte, de caveau en caveau, le son de cette musique, qui berce mon affect de blues en coups durs depuis si longtemps, me guide vers la lumière. Elle s’échappe d’une gorge fraîche, sublimée par un orgue déchaîné.  Pour sûr, le paradis réside à Cully et je m’y plais déjà.

« Il y a quelque chose qui nous échappe » dit, plus loin, cette jeune dame. Sur la petite scène, un chapeau blanc sur fond plus sombre produit des sons terriblement vocodés sur un fond de jam spatiale.

Plus bas, dans un bistraveau sympathique, le trombone néo-orléanais pleure sa ville perdue, noyée sous les accords d’un banjo qui dialogue avec une basse à vent avant que la clarinette ne tranche les débats avec sa verve habituelle. L’échange s’achève au bar devant « un express, s’il vous plait ».

Entre deux cuisinettes assaillies, l’entrée dans la prochaine étape impose un groupe fleurant bon l’improvisation duale entre un sax soprano cherchant les limites de l’instrument et l’opérateur électronique dûment chapeauté à la mode d’un lointain ailleurs.

Au principal resto, c’est latino … et pas d’hier.

Glissons-nous subrepticement dans les coulisses du Chapiteau. La nuit dispute les lieux à la pluie qui tambourine pour combler l’absence de percussionniste dans le quintet manouche qui hante les lieux de sa classe. « Incredible ! » C’est le triomphe dès le premier soir pour une foule ravie de partager cet instant de joie pure.

Sur scène, l’émotion se fait texte pour un cocktail d’humour familial. « Si j’avais eu une fille, elle aurait fait chanteuse, plutôt que guitariste, fait Star’Ac et elle aurait vendu des disques, elle » !

Et la magie reprend de plus belle. Là-haut, Django sourit à nouveau.

  

Le second jour (samedi)

L’hôtel du matin s’éveille pour honorer ses clients de ce grand déjeuner que l’on dit petit sans le justifier. Les nuées de la nuit s’effacent en douceur pour illuminer l’anniversaire 24e du Festival.

Rien ne ride la surface du lac. Rien non plus ne vient troubler la quiétude du village assoupi sous le soleil. Rien ? Rien, si ce n’est le Macadam Piano. Imperturbable, l’artiste de rue a pris l’expression au pied de la rou(e)lett(r)e. Son instrument à queue trace sa route sur la chaussée désertée par les autres véhicules. L’homme de l’art swingue en queue de pie melonné et ganté de blanc, tout en guidant l’engin motorisé d’une habile gestion du pied. Du coup, l’homme-orchestre trouve une nouvelle dynamique. Après le piano des villes, à quand le piano des champs sur base de tracteur ?

Peu à peu, les nuages reviennent, comme attirés par les notes déchaînées des animateurs de rue regroupant les familles du cru sur la rive. Et les ballons blancs des jeunes distraits entament leur farandole jusqu’aux cieux, tandis que le Lavaux Express, assailli de musiciens grimpeurs, pose ses touches de couleur jaune dans le paysage.

A la terrasse, un musicien du soir arrive, tout étonné « il n’y a personne pour nous accueillir ? ». Un autre le guide aimablement vers le Bureau du Festival.

L’intraverti enveloppe sa timidité dans les pans serrés de sa veste en daim, contemplant les belles qui passent devant la véranda. Ce ne sera pas pour cette fois.

Et la ronde des heures qui nous séparent du prochain concert s’écoule au rythme lent du pousse-pousse de sa majesté bébé.

La pluie revient, amicale et chaude, comme la foule qui vient se tremper dans une ambiance latino matinée de sons cubains. Heureux les festivaliers qui se retrouvent pour partager leur commune émotion d’un jour ou de toujours !

Ce soir, c’est au tour des bénévoles d’entrer dans la chronique. Ils viennent de toute la région et même, parfois, de plus loin. Eux, ils stressent leur plaisir pour satisfaire la foule. Au four à pizza, ou au moulin à caoua, ils oeuvrent pour que vive ce festival attachant. D’autres s’interrogent en interviewant les passants disposés à s’exprimer afin que demain Cully rime encore plus avec envie. Du lycéen à l’apprenti, du docte au rang à l’ad hoc femme de tête, ils ont tous et toutes le même besoin de réussir un bon parcours, environné de musique.

Au Chapiteau, le pianiste fait danser son saxophoniste sur un rythme acrobatique qui trouble les battements de mains des spectateurs. Comme toujours en jazz, le temps et le contretemps se télescopent en franchissant le grand océan.

Un Next pas plus loin, c’est l’ouïe qui se perd dans un déluge de décibels comblant les plus jeunes et remplaçant celui du ciel qui a stoppé. Nonante-trois décis, belles d’un soir, est la ration si l’on veut que tympans perdurent. C’était écrit, dit la sagesse orientale.

Ailleurs, dans les caveaux, un contraste évident saisit l’observateur innocent. Autant les grandes scènes cherchent-elles à présenter des découvertes, courageuses et parfois surprenantes, autant les petites scènes du OFF se sont-elles intronisées gardiennes de la tradition.

Là, c’est un New-Orleans revisité par l’Europe et un peu mou. Ici, c’est le boogie-woogie man qui se déchaîne dans la tradition pianistique chère à Pete Johnson. Là c’est du swing tranquille, un peu comme une balade au pays de la ballade. Ici, c’est le grand retour de la chanson française qui chante le rythme endiablé ou la fin de l’amour. « les histoires d’amour finissent toujours mal », nous susurre une ébouriffée aux yeux fortement soulignés. Mais partout, c’est le blues qui émerge d’un éclairage curieusement rouge, d’une gorge noire nouée par le désir de bien faire, ou chuchotée par de gentils fatigués de fin de soirée. Le cafard était là, braves gens, laissons-le dormir . . . pour profiter de ce sourire que l’on croise sur la chaussée mouillée.

Le papillon de nuit inconnu, avec son badge dûment staffé, suscite bien des commentaires parmi les habitués du lieu. Dame, « ils se connaissent tous », nous souffle-t-on discrètement.

Quelques silhouettes ondulent ou oscillent bizarrement sur les trottoirs encore humides. La nuit sera longue pour quelques-uns.

A l’Oxymore, la nuit finit dans un déferlement de mambo cuivré modernisé. Le sourire de la responsable du lieu tapisse les murs de lumière printanière, au moment où l’heure d’été franchit la porte. Courte sera la nuit.

 

Le troisième jour (dimanche)

A Cully, le jour du Seigneur commence comme il se doit par les harmonies du gospel merveilleusement portées par les voix chaudes des Compagnons du Jourdain. Ils avaient bercé mon enfance de leurs messages d’espoir et je les retrouve comme un signe positif à l’orée de la grande nuit. Heureuse rencontre.

Le vapeur paresseux vient faire admirer son pavillon de poupe aux badauds qui se dirigent tranquillement vers le brunch familial, dans le grand restaurant de toile. Et les musiciens de rue d’entamer un court dialogue avec la sirène du navire qui s’éloigne.

Le dimanche au soleil, Cully se concentre sur la rive du lac où on lézarde à tout va. Sur la place de jeux, les petits s’en donnent à coeur joie, passant d’un mobile animalier au toboggan, à l’endroit comme à l’envers, sous l’oeil plus ou moins attentif de leurs géniteurs. Il est vrai que certaines vivacités infantiles nécessitent des réflexes bien entraînés.

En ce moment, point de jazz à l’horizon, juste de la chanson cruelle emballée de voix qui rappellent les bonbonnières d’autrefois chez le droguiste. Mous, les battements de mains du public induisent l’apparition de panneaux vigoureusement brandis : « applause », « fort ! ». Et la foule s’exécute avec bonhomie. Binômes. Parce qu’ils sont deux hommes … soutenus par une voix féminine ?

A quelques pas de là, l’animateur de la Romande Energie explique : « c’est une attraction pour les adultes, mais en deux jours je n’en ai eu que cinq assez courageux pour monter sur le vélo et répondre aux questions posées. Par contre, tous les enfants du quartier reviennent plusieurs fois ».

Au café du coin, l’un de ceux qui sont ouverts (les autres récupèrent des fatigues de la nuit), le garçonnet solitaire aux cheveux bouclés pose sa tête sur son avant-bras avec un gros soupir qui en dit long, tout en tétant sa sucette rouge, jaune et bleue. L’arrivée du coca réveille son ardeur. Du coup, il parle comme un grand.

Diable ! Le concert du Chapiteau est plus tôt le dimanche. Les gens s’y précipitent. Dans la salle, une ambiance très respectueuse. Serait-ce un nouveau temple ? On attend sagement et en silence que la batterie pulse, solitaire, avant de lancer le sax, puis le cornet (non, non ! personne ne fait ses courses ici…., d’ailleurs, c’est un bugle), avant la fusion d’ensemble. Derrière, le pizzicato rageur de la contrebasse martèle le fond sonore et la jambe part toute seule pour battre la mesure. Indifférence exclue face à un tel beat. Du pur bonheur (et de bonne heure, en plus, ce qui arrange plein de gens qui devront travailler tôt demain).

Petit tour à la boutique du Festival, le temps de croquer la scène qui se joue entre une mère et son jeune enfant. « Tu veux celui-là ? » et elle montre un tout petit sac avec bandoulière. « Oui, il me plait beaucoup. A quoi ça sert ? ». « A mettre ton natel… mais tu n’en as pas. Dommage » !

Bon, la soirée sera calme et la foule se clairsème (à tous vents comme disait le dictionnaire du temps jadis). Quelques caveaux nous ouvrent leur porte malgré tout. A l’Heineken, c’est une école de jazz qui présente une chanteuse et son groupe de soutien (dont une guitare à la Wes Montgommery). Voilà qui chauffe. Comme chauffe le poêle du petit nid du staff, là-bas, derrière le restaurant et, surtout, à l’abri du rideau de bambou façon Copacabana Playa, ou Mad Max, à moins que ce ne soit entre les deux…

Après une brève pause, les pas du scribe discret se dirigent vers un pouf bienvenu pour s’imprégner de musique argentine à forts relents de tan(go)tan. Encore du plaisir en perspective.

Sage, le Festival se couche tôt ce soir.

 

 Le quatrième jour (lundi)

Endormi, le silence se promène, solitaire, sur les rives du Léman. A l’hôtel, quelques clients entrouvrent leurs paupières sur le café chaud du matin.

Les habitants travaillent à nouveau, non sans peine. Les plus prudents ont pris congé ce matin. La ville récupère prudemment afin de tenir le choc en fin de semaine. « Vous savez, lundi, mardi, c’est calme. Le Festival reprend vraiment mercredi » dit la patronne d’un estaminet à quelques étrangers surpris.

Quelques sabliers retournés plus tard, la foule converge à nouveau sur Cully. On annonce une grosse pointure au Chapiteau. Le grand blanc Popa Chubby en personne, tatoué de partout, va se charger d’exploser le blues à sa façon, ce soir.

Lunettes noires scotchées sur les sourcils, le boss de la guitare semble renfrogné. Assis, il égrène une litanie de notes qui hésitent entre le mélodisme et la force brute. Derrière lui, une rythmique traditionnelle (basse, batterie) pousse sans faiblir le son vers des sommets. Le Mont-Blanc du décibel n’est plus très loin. La salle est pleine. Debout,  les fans ne balancent pas, attendant sagement que le morceau se termine pour ovationner le musicien. Pour la coda, Popa se lève, le volume aussi, l’avalanche de notes aiguës se déchaîne et la foule hurle enfin son plaisir. Du coup, les lunettes reprennent leur place devant le regard. Trois heures plus tard, il joue toujours devant ses fans en sage délire. Les malheureux contraints par les horaires de leurs transporteurs ne cessent de fulminer contre le sort. Au final, un petit clin d’oeil à James Bond et quelques autres rengaines sous forme de citations.

La soirée du bistrot de la Poste s’annonce intéressante. Peu de place, pas de concert, mais un drôle d’artiste tout de même. A la grande table de l’entrée, personne d’autre que lui. Les consommateurs se pressent pourtant au bar. Deux innocents s’asseyent ... et se font d’emblée apostropher vigoureusement par la voix qui prolonge la main du pastis : « c’est pas de votre faute ; on voit sur votre visage que vous n’êtes pas malin ». Un bref silence plus tard, il reprend : « il faut respecter les autres. Moi, on ne me respecte jamais. Normal, j’ai voulu trop donner. J’aurais mieux fait de prendre » dit le parisien qui se présente sous le nom de Richard Olivier dit Coeur de Lion. La si particulière conversation dure un petit moment, balançant constamment à la limite de l’accrochage. Mais tout finit par se calmer et les amateurs de musique s’en vont découvrir un nouveau caveau. L’autre reste à dialoguer avec son coeur de cristal liquide.

 

Le cinquième jour (Mardi)

Trois techniciens syndiqués de la radio nationale échangent leurs impressions au petit déjeuner à l’hôtel. Les mérites respectifs de la dernière brocante, de l’affaire de l’usine en grève pas loin d’ici, et du gouvernement français qui s’enlise dans son projet de CPE, s’entremêlent à plaisir pour faire passer le temps.

En début d’après-midi, au tea-room du centre, trois dames de la localité animent la discussion sur les coulisses du festival, sans guère prêter attention au scribe solitaire qui griffonne quelques notes sur son carnet. Un festival de jase, en quelque sorte !

Dans la véranda, un couple de français, âgés et habitués du Cully Jazz Festival. « C’est beau ici ! Laisse-moi donc une semaine, va travailler et revient me chercher après ».

Et toujours cette infrabasse qui claque et décolle les tympans, quelque part dans le fond du bâtiment. Deux jours déjà que l’on vibre gravement et en cadence en se demandant quelle mélodie pourra se greffer dessus au moment du concert.

Le temps s’écoule lentement sur la vitre humide.

Cinq personnes en scène pour un jazz guitaristique très libre. Trop pour une partie des spectateurs qui rendent les armes et vont s’insérer tant bien que mal dans les caveaux du voisinage.

John Scoffield entre en scène pour son hommage à Ray Charles. Quelques notes superbement égrenées et on se prend à rêver des Raelets... qui ne viennent pas. Courcircuitées par d’intenses moments instrumentaux parfois émaillés de sons curieux. Dans la presse du jour, on le redoutait trop rond, trop sage. Peut-être est-ce sa répartie ? Puis une voix qui semble féminine par instants. On se retourne et... non, c’est un chanteur qui flirte avec les nuées pour passer un contre-ut que ne renierait pas une voix de femme. Puis son chant prend l’ascenseur et nous revoici au rez inférieur entre le ténor et la basse. L’organiste chauffe de manière très classique avec des sonorités à la Jimmy Smith plus qu’à la Ray. Encore un que le mythique B3 a contaminé. Heureux homme ! Cela swingue bien et la foule se partage. Trois-quarts sont ravis de leur soirée. Quand au quart restant... il ne reste pas, préférant retrouver les sons d’aujourd’hui au Next Step.

Là, les officiants sont trois : un guitariste, encore, une charmante percussionniste  et un DJ qui gesticule derrière ses platines. Break, un arrêt-vidange intempestif s’impose afin de gérer ce que Jean-Marie Vivier appelait autrefois les « abus vésico-prostatiques ». Surprenant au milieu d’un morceau.

Tout cela me donne soif et je me rends au Caoua. Là, un quatuor vocal très gospel se souvient qu’il avait un chapeau et hèle le passant tentant de l’attirer à l’intérieur du caveau où il reste de la place.

La nuit s’écoule au ralenti comme la pluie qui fuit le pavé mouillé, glissant vers le caniveau. Malheureux organisateurs qui se sont donnés pendant un an pour préparer cette fête des amis du jazz, amis qui rétrécissent au lavage, sous un peu d’eau.

  

Le sixième jour (Mercredi)

« Je trouve çà un peu raide ! » s’exclame la dame au bistrot quand la serveuse désire encaisser au moment où elle apporte les boissons. Et de prendre son vis-à-vis à témoin. « Je n’ai jamais vu  cela ici... ». En face, l’homme ne dit rien, acceptant philosophiquement son destin. « C’est à cause du jazz » dit la serveuse.

Il a bon dos, lui, qui chante harmonieusement dans les gorges féminines du chapiteau. Trop beau pour prendre des notes. L’émotion oublie son devoir et se contente de ressentir profondément.

Et la nuit du sommeil, complice, efface le remord dans un souffle.

  

Le septième jour (Jeudi)

Cette fois c’est sûr, Noé arrive avec son arche. Les trombes célestes le laissent supposer.

Au Pouf, la petite bénévole s’acquitte consciencieusement de sa tâche et interviewe un monsieur tout heureux de se sentir important. Il règne ici une atmosphère bon enfant. Le jazz sonne sud-américain dans l’arrière-salle.

Partout le sourire de l’accueil et la gentillesse en prime.

Un Festival où il fait bon vivre, assurément.

  

Le huitième jour (Vendredi)

Au bord de l’eau, le bateau bleu fait un passage surprise et quasi silencieux. Au soleil couchant, avec un début d’illumination, le spectacle met des paillettes dans les mirettes des grands enfants que nous sommes restés.

Sous le chapiteau, les vibrations sont spéciales. Un homme seul tente d’apprivoiser une guitare électro-acoustique pour en tirer des sons surprenants. Et il chante en plus le bougre ! Dommage, pas le temps de bien l’écouter. La foule se meut, bouge, se déplace, de caveau en caveau. Partout, c’est l’envahissement. Les rues de la petite bourgade ne suffisent plus à canaliser la multitude de ceux qui attendaient cette soirée de beau temps avec impatience. Cette fois, c’est le printemps. Au milieu de la petite place, devant la boulangerie, quatre quidams installent une petite table, des chaises, une bonne bouteille... et improvisent une terrasse miniature, rien que pour eux.

Autour, le flot s’écoule, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Les effluves anglo-saxonnes des origines côtoient les saveurs du parler méditerranéen. Paroles ! Depuis le début du Festival, il n’y a jamais eu autant de langues étrangères parlées à Cully. Des groupes se forment, d’autres font le cercle comme pour mieux se percevoir. Devant tous les caveaux, on se presse sans espoir de pouvoir entrer, ni même entendre cette musique que l’on devine entre deux tonneaux gigantesques.

Tiens, le printemps illumine aussi la petite galerie. Pour une fois, on y voit du monde, intéressé. Là, on peut encore circuler. Partout l’ambiance perdure. On se bouscule comme dans d’autres festivals, mais ici cela se fait avec bonne humeur et tolérance.

Au Heineken, l’affichette sauvage annonce la couleur. Le groupe qui s’y produit proclame haut et fort (surtout fort, d’ailleurs) que le temps est venu du Cully Rock Festival. Une mini révolution qui n’émeut guère les festivaliers. Pour eux, toute musique est bonne à saisir entre les deux oreilles. L’avantage d’en avoir deux, c’est qu’on peut profiter de deux scènes simultanément.

 A la Poste, juste à côté, c’est le règne des tubes en série et la Bamba embrase une fois encore les afficionados du genre. Les autres s’enfuient discrètement. Leurs pas en emportent certains vers le Caveau Potterat. Là, un groupe d’anglaises nous signale amicalement qu’il n’y a pas moyen d’entrer, ni même d’entendre quelque chose du dehors. Bon, on se console avec la petite terrasse abritée qui fait un peu penser à un célèbre « grotto » tessinois...

Plus haut, le doux Basile ondule en cadence sur le jazz latino qui s’exprime.

Trop de monde ici ? Qu’à cela ne tienne, allons donc à l’Oxymore. Un peu à l’écart, il devrait y avoir plus de place. Las, la montre avait tourné et le spectacle était terminé. Encore raté. Ne reste plus qu’à discuter un peu avec le personnel du lieu. De sympathiques envolées statistiques à une caisse rebelle qui tente de semer ses petites pièces dans le sol. Plaisanterie de fin de nuit, on s’interroge sur le nom du lieu et sur son origine. Selon la prononciation, on peut entendre occis et mort. Deux façons de se sentir banni. Décidément, mieux vaut se diriger vers un son plus oxydé. Et, surtout, vers un sommeil réparateur.

  

Le dernier jour (samedi) . . .

« Sounds all right », répète inlassablement le haut-parleur, lors du « soundcheck » de l’après-midi dans le Chapiteau vide. Tout va bien, mais on recommence inlassablement les réglages visant à équilibrer encore un peu plus chacun des instruments par rapport à l’ensemble.

Plus loin, au bord de l’eau, un parapluie se promène, abritant deux tendresses qui se font des promesses d’avenir. Et un arc-en-ciel surgit ... au bras d’une dame tout de rose vêtue. Sous ce parapluie-là il y aurait de la place pour quatre, mais elle est seule à en profiter.

Un bébé de plastic se promène dans son pousse-pousse. « au moins, il ne pleure pas la nuit » dit son père en souriant, alors que l’original caracole un peu plus loin dans les bras de la maman.

Pendant ce temps, au Next Step, un virtuose du clavier s’ingénie à monter et descendre l’étendue des 77 touches noires et blanches pour que, ce soir, la foule puisse applaudir à tout rompre (ce qu’elle fera effectivement dans la nuit redevenue sèche un moment pour mieux fêter le final du Festival).

 

. . . et la dernière nuit (samedi)

La foule des grands soirs a décidé de braver les éléments qui jouent avec elle, tantôt rassurante, tantôt prégnante.

Partout, la musique se répand comme une bénéfique potion anti-stress. Partout la joie, partout le plaisir de simplement « en être ».

Au Chapiteau, on sublime le Sacre du Tympan devant une foule conquise d’avance et qui ovationne les nombreux musicien(ne)s au moment du final. La Klezmer Madness de l’urbain Krakauer va chanter à sa façon le ghetto des grandes cités. Envolées magiques, le Chapiteau s’embrase.

Tous les caveaux font le plein. Les cafés s’y sont mis aussi pour cette ultime nuit. La foule, bonhomme, passe de l’un à l’autre dans un mouvement qui semble infini. Comme hier, les langues étrangères sont à la mode. L’anglais domine, mais le grec ou le lithuanien côtoie les plus classiques allemand, italien ou français.

Le dévoué service d’ordre, guide ceux qui cherchent leur chemin de retour sous la pluie qui revient.

Quant à moi, témoin subjectif de cette 24ème édition, j’emplis mes oreilles d’un dernier groove à l’Oxymore, tout en ingurgitant un jus d’orange sensé ranimer un dynamisme suffisant pour la route du retour. Au bar, les bénévoles de service improvisent un pas de danse en trio.

 

Le temps des souvenirs . . .

Au petit matin, la balayeuse municipale ronronne comme un navire quittant le quai.

Un peu auparavant, les derniers bénévoles en ont fait de même avec la satisfaction du devoir accompli, une fois de plus.

Les paupières, lourdes de mille souvenirs, vont s’incliner pour un ultime hommage à cette édition 2006 du Cully Jazz Festival.

 

Copyright Marc Biderbost / 2006

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