B I E N V E N U E

Sur le site de Marc Biderbost

Artiste, Créaticien, Enseignant

 

Montreux Jazz Festival 2002

Chroniques poétiques du Montreux Jazz Festival 2002

 Le premier week-end

Il était là. Simplement là. Personne ne l’avait vu venir. Il semblait toujours avoir été là. Et peut-être l’était-il, en fait ? Comme une sorte de témoin fixant le temps de ses pattes de mouche que lui seul pouvait déchiffrer.

Et les lignes s’ajoutaient aux lignes, comme un rythme lancinant de gospel. A quoi serviraient-elles ? Nul ne le savait, même pas lui, l’écrivain silencieux, témoin de ce Montreux Jazz Festival, trente-sixième du nom, qui venait de commencer.

Et le gospel boat venait de s’amarrer au quai pour que les gens passionnés, peu soucieux de leur confort spatial, puissent embarquer. Etonnant spectacle, se disait le scribe. On dirait que la foule n’avait pas de fin. Comme si le navire pouvait ingurgiter la population entière de la planète. Et les rangées patientes, étonnamment bon enfant compte tenu des circonstances, se succédaient. Avec toujours ce rythme cyclique sur un fond de basses profondes. Décidément, cette chorale marquait l’égrènement du temps à gorges déployées, envoûtant les bienheureux qui avaient pu embarquer.

Et là devant, sur le quai, l’incessant va-et-vient des festivaliers, pas encore concentrés sur leur objet de culte, croise ces autochtones qui maintiennent leur habituelle balade dominicale sans se soucier des éventuels perturbateurs venus d’ailleurs.

D’où viennent-ils, précisément, tous ces inconnus évoluant d’un pas tranquille au pied des statues de grands musiciens, actuels ou trop tôt disparus, qui jalonnent la promenade de leur bronze aux formes recherchées ?

La plume interrompit un moment sa longue glissade transversale, suspendant sa course le temps d’un break de batterie sur le bateau qui s’éloigne au ralenti, sur l’eau calme du grand lac. L’homme qui la tenait fermement fronça les sourcils en se concentrant. Il écoutait les mots qui s’échangeaient tout autour de lui. Ses oreilles enregistraient, simultanément, les bribes de conversation provenant de la terrasse et celles qui marquaient le défilé du quai voisin. De l’anglais planait sur le français local, entrecoupé de relents hispaniques, contrastes de langages aux consonnances étranges et non identifiées.

Blues and gospel boat. Au loin, entre deux rayons du soleil généreux de la Riviera, les accents issus des champs de coton d’un passé que certains souhaiteraient plus lointain encore, se fondent au brouhaha de la foule en marche. Curieux, le pas des promeneurs se cale peu à peu, et inconsciemment, sur la rythmique métrique du blues band qui vient de prendre le relais puissamment, là-bas sur le pont. Et la plainte écorchée d’un saxophone ténor enthousiaste vient soutenir les voix qui, inlassablement, répètent « here I come ». Le crescendo des gorges jetant leurs ultimes forces dans la coda se fond soudainement au coup de corne de brume du vaisseau saluant ses nombreux admirateurs. Et la pulsation régulière des puissantes roues à aubes lémaniques rappelle celle, plus large, du lointain Mississippi.

Et c’est un papa-rasta, aux longues tresses emmêlées dans la plus pure tradition jamaïcaine, qui passe, portant avec d’infinies précautions son rejeton qui dort, juste au milieu de la foule. Vient le tour de l’adulte alémanique, relativement âgé et serein, qui porte sa casquette à l’envers, comme ces jeunes en rollers, limités dans leurs évolutions.

Oh !  L’œil de l’écrivain se pose, ou plutôt se dépose avec une douceur complice, sur le charmant bikini à peine voilé par une mini-jupe portefeuille, si élégamment portée que la pensée s’envole un instant, quittant la feuille quadrillée.

S’en vient alors la petite famille, sagement groupée autour de la maman-guide. Tout ce petit monde lèche, avec une dévotion respectueuse, les cornets de glaces multicolores.

Décidément, l’été se porte court au chaud soleil de juillet. On en oublierait presque les papas, dodus ou sveltes, évoluant en parallèle entre deux âges, voire dans l’extrême !

Et les moineaux, blasés, viennent se servir et se goinfrer aux tables, sans pudeur, en une incessante ronde. De miettes gentiment accordées par les touristes complices, en parcelles courageusement subtilisées jusque dans les assiettes, ces impertinents volatiles progressent sur la voie de l’apprivoisement.

Une petite salopette rose, juchée sur la chemise vert pétant de son père, promène un regard supérieur sur les gens d’en-dessous.

Voici venir des dizaines de gobelets de bière qui avancent en groupe dans les asiatiques mains qui les portent. Là-bas, le guitariste-étudiant égrène les accords feutrés d’un petit air de Count Basie sur une ligne de basse arrondie par son pote qui slappe en cadence, tout heureux de vivre librement sa musique devant tous ces regards qui l’observent amusés. Quelques piécettes s’en viennent parfois remplir le coffre entr’ouvert de l’instrument.

Un peu plus loin, c’est un groupe néo-orléanais qui revisite les standards de l’époque en leur donnant un coup de jeune par moments. Là, le tuba cède tout à coup sa place à une basse électrique et c’est toute la magie de la tequila qui s’installe sur la scène du parc de Vernex. Et  le poupon qui dort sur les genoux de son père, assis à même l’herbe chaude, ne s’en formalise pas. Pas plus que de cette salve d’applaudissements qui ponctue le show du Siberian Jazz Band venu de sa lointaine Russie pour animer le train du New Orleans. Les petits poings fermés de l’enfant restent indifférents à la superbe casquette de marin, blanche, qui orne le chef du chef. Et les cuivres de se déchaîner à tour de rôle sur le parc qui prend des allures de piscine estivale posée du côté de Woodstock.

Les gens s’en viennent, les gens s’en vont, seuls, en groupes, ou, le plus souvent, en couples. Au-dessus du parc, solennelle, pointe la croix du temple qui en a vu d’autres au fil du temps. Et le chien labrador s’essouffle en vain pour se raffraîchir un peu. La trompette claque une dernière salve. Le bébé ouvre ses yeux. Le concert est terminé, qui a vu communier plusieurs générations.

Les marchandes de frites sourient entre deux jazz, la monnaie locale exclusive. Et les deux bambins qui jouent à traverser la moderne sculpture du parc leur font écho.

A côté de l’espace de verdure, les bateaux de plaisance oscillent en cadence au bout de leur chaîne, pour le plus grand plaisir visuel des festivaliers venus chercher un moment d’isolement près de l’eau. Le voilier immaculé croise fièrement, libre de toute entrave, alors qu’au large le vapeur Savoie fume de satisfaction au milieu de sa flotille admirative.

Et le couple enlacé de s’étreindre passionnément au milieu de la foule, alors qu’à deux pas de là un groupe de musiciens, venus du lointain Burkina Fasso, cherche des filles à draguer pour un soir.

Au même moment, dans les profondeurs du Centre de congrès, l’âme démultipliée du Festival vaque à mille tâches quotidiennes qui vont faire la différence entre cette édition et toutes celles qui l’ont précédée. Fourmis laborieuses en polos bleu pâle, elles s’activent dans les coulisses de l’événement pour le faire vivre.

Flashback, le temps d’un souvenir ! Le Festival avait précisément commencé dans les coulisses, entre deux camions de livraison pressés de déposer le matériel de base de l’organisation. Une joyeuse pagaille apparente élaborant, détail après détail, une structure impeccable qui n’apparaîtrait vraiment qu’au moment où les premiers festivaliers franchiraient les portes, jusque-là cadenassées. Où l’horloge du temps était-elle remontée ? Quel instant s’est gravé dans l’esprit du visiteur pour lui signifier le début du commencement ? La première note intimiste de Chris Rea marque-t-elle plus l’inconscient collectif que cette vidéo géante de chaque côté de la scène où il se reproduit à l’envi, chaque note semblant ciselée à la main comme il se doit pour un diamant ?

Le contrôle de sécurité, par nature pointilleux, où les discussions passionnées dans la première file d’attente d’une longue série, constituent-t-ils la seconde initiale ? Plus tard, pour d’autres oreilles, c’est le root du reggae qui lancera l’aventure.

Ose-t-on écrire que le frémissement premier est venu d’un DJ, dans les sombres méandres du Montreux Jazz Café, ce phare des nuits du jazz off ? Première veillée, premières fatigues et déjà la satisfaction d’en avoir été !

Le samedi avait commencé tranquillement, posément, avec toute la majesté qui convient pour escalader l’Alpe apprivoisée avec une crémaillère dopée aux accents d’une musique venue de la Louisiane, après escale au bord de l’Oural.

Quelques plats exotiques plus tard, entre bière et boisson gazeuse, passée l’entrée qualifiée d’un peu banale par un vieil habitué de la manifestation, le vieil homme du blues entre en scène. Inimitable, le vénérable serviteur de la syncope la frôle dans une débauche d’énergie qui n’avoue pas ses septante-six étés. Certes, le geste se fait plus mesuré qu’avant, mais la joie communicative se répand par contagion ravageuse dans un public conquis. Lancinant, l’harmonica du maître des cérémonies fournit le contrepoint nécessaire à la note bleue. Cette fois, c’est vraiment lancé. Le Festival est baptisé. La nuit s’allonge à l’infini aux côtés de son amant qui tire un voile pudique sur le Léman.

. . .

Retrouvés, la lumière du soleil au couchant et les quais patients, toujours arpentés par la foule bigarrée. Sur l’eau, le hors-bord fend la vague sur la trajectoire du Salsa boat qui tangue sur les rythmes ancestraux.

Soudain, l’ambiance des quais change, eu égard au programme du soir. L’âge moyen tombe avec le jour sur l’horizon. Passe un groupe de filles, tout de noir vêtues. Un détail particulier, leurs yeux artificiellement rougis par la lentille de contact les trahit. Le style baroque de leur panoplie marque l’avènement nocturne d’un rock aux accents métalliques qui doit beaucoup aux «guitar heroes» de la légende. La scène de ce soir sera chaude, à n’en pas douter.

Les vivants plus expérimentés dirigent leurs pas vers le parc Vernex où l’on salse à tous vents, pour le plus grand plaisir des pieds véloces. Les têtes marquent le tempo en cadence. Et la femme aux multiples prétendants d’hésiter encore et toujours entre la veille et demain. L’avenir du temps oscille au rythme de ses pulsions et le lac en rougit soudain sur toute sa surface.

                                                                                                                    à suivre ….

Chroniques poétiques du Montreux Jazz Festival 2002

La première semaine

L’un dit : «mâtin», l’autre dit : «quel week-end» ! Rude, ce le fut pour les organismes qui ne se sont accordés que quelques heures de repos sur la durée. «La musique est trop géniale», dit encore une charmante jeune australienne, interviewée par l’équipe de sondage. Eh oui, le festival se sonde comme tout bon cru. Aux enchères de Beaunes, le Montreux Jazz Festival ferait un malheur assurément.

La digestion à peine commencée, et jamais vraiment terminée tant les stands de nourriture sont attrayants, l’heure des big bands américains, rescapés du 11 septembre, a sonné. Comme le fait la section de cuivres déchaînés qui déchire l’atmosphère à coups de glissandis rageurs. Et les semelles de battre à l’unisson sur le bitume du quai.

Cette fois, c’est un trait de feu sur l’horizon qui croise le pas nonchalant des flâneurs devant le stand des flûtes andiennes. Sur l’autre rive, le bateau de la CGN pousse ses machines pour amarrer dans les temps à St-Gingolph. Là-devant, le portrait triste s’achève à la lueur de la terrasse hôtelière. On déambule plus facilement ce soir entre deux harmonies basiques.

Il semble que le dernier accord de l’apôtre Paul, Simon pour l’état civil, vient de s’éteindre doucement dans la nuit du Stravinsky. Et pourtant, déjà, la chasse est ouverte. Aux filles sur le quai, pour commencer, mais, plus prosaïquement, aux billets dans les coulisses du festival. On dit couramment, un Jamiroquai pour se faire comprendre. Et l’on vient de très loin pour entendre le groupe mythique d’une génération. D’Angola, de Montpellier et même de Grande-Bretagne. La jolie et dynamique caissière de la billetterie multiplie les miracles pour satisfaire tout le monde, bien qu’on joue à guichets fermés. Son intervention réunit, soudain, par la magie du culte musical, une famille dispersée. Le soir, la balance de la foule bigarrée n’hésite pas, qui bascule en bloc vers l’ouest, alors que la scène de la Rouvenaz tente d’exister malgré l’exode. Peine perdue, comme le nom du groupe, ce soir. A dire vrai, ils ne pouvaient rien contre la pulsation monstrueuse, quasi organique, voire orgasmique, de l’indien à la plume.

La nuit s’allonge sur son lit et pourtant l’esprit de Montreux poursuit ses conquètes au Harry’s Bar où Jamiroquai se livre à une improvisation déchaînée de plus d’une heure avec certains de ses musiciens. Beaucoup de bienheureux profitèrent de l’aubaine jusqu’au petit matin blème.

Pareils, et pourtant divers, les big bands universitaires, tantôt américains, tantôt australiens,  se produisent toujours pour la plus grande joie des auditeurs, sur la petite scène de la Rouvenaz. Entre deux applaudissements d’un public plus âgé, ils présentent leur night and day. En tout cas sur leurs polos bicolores. Une face pour la nuit et une autre pour le jour. Un peu comme le temps qui déroule ses volutes de pluie au firmament. Le chef s’en donne à cœur joie avec sa manche nocturne. Prêts à tout, mais néanmoins prévoyants, les spectateurs les plus malins se réfugient sous les parasols de la buvette voisine. Elle n’accepte pourtant pas les sacro-saints jazz, bien qu’elle profite directement des retombées de cette musique.

Curieux, le bedon se porte avancé dans les parages. Peut-être est-ce pour mieux digérer la musique de Lennie Niehaus que distille le jeune band grâce à une section de trombones étoffée. Cà tourne rond, loin d’une avant-garde datée d’époque ! Tiens, la partition directrice se fait la malle sur le dernier coup de cymbale. Bien calculé ! Une trompette bleue du plus bel effet, qui nous vient tout droit de New-York dit le chef, un sousaphone blanc sur une charmante enfant, une clarinette noire… et c’est la Nouvelle Orléans qui débarque du Vieux Carré avant de s’en aller à «pas de géant», comme le dirait le grand John de là-haut !

Plus tard, en formation réduite, ce petit monde australien «Groove» en fin d’après-midi au Petit Palais. Subtile façon d’amortir ses frais de déplacement ! Trio de souffleurs, triplette rythmique et trois groupies assises à même le sol au premier rang, le compte y est. La Tunisie bop du fameux trompettiste aux joues rondes revit avec le sextette. L’audience, à cette heure de la semaine, n’est pas aussi fournie que ses vivas saluant chaque solo comme il est d’usage. Et la chaise du handicapé malheureux ne peut franchir le douloureux barrage de l’escalier.

Des heures de fumées plus tard, entre la bière et le coca des interludes animés par un groupe polonais de passage, une partie de la foule s’éclate au Miles Davis Hall sur de lancinantes mélopées country brusquement ravagées par des guitares rock que le métal ne renierait pas. Du métal planait au même instant sur le Montreux Jazz Café, où le même handicapé essayait en vain de pénétrer, alors qu’un peu plus loin un groupe tentait d’évangéliser le passant avec des incantations et des plaintes de saxo ténor à Lui dédiées.

Puis, les notes indigo accompagnent les derniers utilisateurs des bus gratuits qui regagnent les parkings périphériques à la recherche de leur moyen de locomotion.

Et, déjà, une nouvelle fournée musicale mitonne sur les quais. Sous le regard intéressé de touristes «venus là par hasard» pour un repas d’affaire, un quartet à cordes dépoussière la musique de chambre comme on nettoie son appartement une fois l’an. Plus loin, juste hors de portée sonore afin de ne pas brouiller l’oreille du profane, le duo d’amateurs du premier jour s’est progressivement étoffé. Hier encore ils étaient trois. Les voilà devenus quatre pour servir les standards du jazz des années 30 à 60. A n’en pas douter, ils n’échapperont à l’orchestre symphonique que parce que le Festival se terminera dans dix jours !

Et les paires d’yeux de se précipiter encore une fois sur la promenade avant le prochain concert, afin de se remplir des souvenirs mordorés du couchant qui flambe à nouveau et fait frémir le Léman sous la douce caresse de l’astre.  Le callygraphe au drôle de chapeau vissé sur la tête opine du chef face à l’argumentaire du chaland. Les prix seront soldés ce soir et pour une fois.

Une petite queue de cheval, barbouillée d’ice cream jusqu’au nez, arrive dans son landau poussé par un père très sérieux dans son habit de cérémonie noir. Plus tard, une fois assise dans la trop grande chaise rouge du bistrot, la petite émet un sonore : «c’est elle qui l’a fini !», en désignant sa mère, sans que l’on puisse savoir si c’est un regret ou un soulagement.

Peu après, la nuit s’enflamme à l’autre bout de la baie de Montreux. Le Casino Barrière rejoint à grand coups de baguettes magiques la grande famille du jazz pour une fin de semaine chargée d’émotions. «C’est ici que tout a commencé, vous vous en souvenez ?», dit le marchand des «crêpes qui sont moins chères que là-bas sur les quais». C’est qu’il a l’air bien loin le Festival et ses flonflons. Dans un temple du purisme retrouvé on va vibrer, pour sûr, entre connaisseurs. Et ce n’est pas le tandem black and white de la nuit qui va contredire cette recherche du «culturellement correct». Les voix se perdent dans une sonorisation qui souffle et chatouille les aiguës là où on attendait l’heure grave.

Quelques cafés et croissants plus tard…

Il faut se battre pour en trouver à midi, car la station semble ignorer que les festivaliers se couchent, et donc se lèvent, tard ! Et un schublig à la crème avec deux sucres passe assez mal sous les paupières lourdes !

Puis, la tension monte un peu. L’équipe d’enquête doit rendre son second rapport intermédiaire ce soir et les tâches s’accumulent sur les tables surchargées. Les machines chauffent comme les esprits. Quelques CD plus tard, pour soutenir le tempo avec un petit Boris à la trompinette planant sur le quintet du Django des grandes rencontres (nostalgie quand tu nous tiens !), le rapport s’envole enfin dans les arcanes du staff.

à suivre ….

 Chroniques poétiques du Montreux Jazz Festival 2002

Le deuxième week-end

Au même moment, alors qu’au Miles Davis Hall «Gotan Project» était sensé revisiter le tango, le Casino explosait sous une longue «standing ovation» méritée pour saluer LE moment du festival. Michel Camilo venait de survoler, à la vitesse du Concorde, les touches blanches et noires, communiant avec un batteur cubain défoncé à la puissance. Un pur enchantement qui allait graver les mémoires des présents à tout jamais. Mauvais tour de la programmation pour le sextet gitano-andalou qui suivait. Il ne put soutenir la comparaison et perdit, du coup, une partie de l’auditoire qui préféra, lui, se rendre au Montreux Jazz Café jusqu’aux premières lueurs de l’aube.

Là, la fouille se fait plus sévère. Les sacs s’ouvrent et déballent de tout, de la brosse à dents à la collection de disques que l’on vient d’acheter à la boutique au-dessus. «Vous partez camper ?», demande le vigile surpris par l’étalage impromptu. La foule subit, patiente, en attendant le Graal. «Je serais bien tenté de couper la file», s’exclame le jeune au look branché. Mais il reste sagement à sa place.

Et c’est enfin le royaume du bain. De foule, de sueur, de fumée, de sons poussés au paroxysme, de sexe aussi, un peu. L’ivresse collective conjugue tout à la fois la joie et l’alcool, les rythmes obsessionnels et la joie d’y être ensemble.

La pression monte, dans l’air comme devant la caisse. Des touristes s’offusquent de ne pas pouvoir récupérer des francs contre leurs jazz inutilisés. Un ange passe. La consigne, c’est la consigne…., mais est-ce bien légal ? L’observateur qui passe ne le saura pas ce soir.

Très tard dans la nuit, les derniers attardés, rincés par le subit et violent orage, trouvent des automobilistes plus chanceux et compatissants pour rentrer chez eux, plus loin, dans un autre monde déserté par ses vacanciers.

Déjà, dans les profondeurs nocturnes, une vibration se fait sentir, qui annonce au monde ébloui que les nouveaux champions du monde de football envoient leurs plus charmantes ambassadrices pour faire étinceler mille paillettes dans les yeux des festivaliers demain.

Le vendredi pluvieux endigue un peu la horde des festivaliers. Les nourritures chaudes n’en sont que plus prisées et le monde de se partager amicalement les parasols protecteurs, le temps d’une platée de riz au curry, avec tout plein de piments qui mettent du soleil au bout des langues.

Il est parfois dur de prendre de l’âge, se dit le scribe. Pour lui, ce second week-end est celui du coup dur. Dès lors, la chronique s’avère bien fade compensation. Difficile de se plonger dans la joyeuse et folle anarchie de la nuit brésilienne, parmi tant de gens qui exsudent la joie de vivre au milieu d’un véritable blues «tropical» ! Même le saxophoniste sans bornes ne pourra, ce soir-là, rétablir la lumière sur la page blanche qui perdure aux petites heures quoi que tentent les six voix unies du Casino.

La Barrière, c’est là qu’elle se trouve, quelquepart entre deux mondes. Rideau ! L’envers de l’endroit, comme ces tentures qui ferment l’arrière de la scène de toutes les joies de vivre. Solitude, cela s’écrit toujours avec des lettres uniques.

Plus que rien, c’est ce que chante le ténor des Vernex. Les rythmes de l’hémisphère sud chantent de nouveaux espoirs pour qui les écoute. Heeeyaiyeeeh, module la chanteuse qui nous rappelle ces journalistes brésiliens au moment du but de Ronaldo il y a peu. Le soleil brille à nouveau sur le lac où le dériveur se couche au vent.

Le soir venu, la « grande prétresse du soul » fait son cinéma mâtiné disco pour le plus grand plaisir d’une assistance majoritairement conquise d’avance. Les puristes, eux, sont sortis sur les quais pour participer à la seconde nuit brésilienne, plus bossa que samba. Pour l’occasion, la techno se fait plus mélodieuse dans les bars intérieurs.

à suivre ….

Chroniques poétiques du Montreux Jazz Festival 2002

La deuxième semaine

Lundi, le jazz se fait doux au palais sur la terrasse du Petit du même nom. Les rythmes latinos s’enchaînent moelleusement derrière le quintette bop venu de France voisine. Est-ce l’influence de la coiffe de gaucho que porte une superbe blonde attablée en bonne compagnie ? Il y aurait beaucoup à dire sur les couvre-chefs du festival ! Le zandana, moderne avatar du bandana, se porte couramment chez les messieurs, à côté de la traditionnelle casquette, alors que ces dames diversifient l’approche pour mieux séduire.

La nuit tombe avec la pluie revenue. Stéphane Eicher oublie Carcassonne pour Montreux sous le regard complice du grand Miles, pendant qu’un jazz plus classique retrouve ses marques à l’étage du dessus. Du ballet de mailloches Gar(ant)y cool au big band des années swing, revisité par Wynton Marsalys, le festival renoue avec ses origines et la clarinette plane comme chez Fletcher autrefois.

Puis le pianiste-chantant, wallérien dans sa logique binaire et s’excusant presque de perturber la conversation de deux gorges profondes, secoue la léthargie naissante du Montreux Jazz Club. Et les rendez-vous de voler entre les agendas ! Et toujours ces mouvements contradictoires de foules qui se croisent sur le chemin d’un nouveau set.

Bye-bye black notes…, le temps d’un séjour en Cantaloupe arrive. Et avec lui le clavier magique d’Herbie, soucieux de porter haut les couleurs d’un bop funky.

Le déluge du mardi ne peut refroidir l’enthousiasme. Le tonnerre claque un éclair sur le lac. Ouh, dit la foule du Petit Palais. Wouh, dit le band californien qui tente de couvrir par ses harmonies le rythme insidieux de la pluie qui martèle les grandes bâches jaunes. Rebondissant à l’envi, comme les notes de la section de cuivres, les gouttes éclaboussent par ricochet. Mais les pieds n’en ont cure, qui martèlent le sol à tempo sur les 2e et 4e temps avec, toujours, cette tentation d’inverser et de choisir les temps impairs. Les regards suivent les jaillissements de l’eau sur la barrière, une oreille attentive à l’anatole pour les bleus de l’âme.

Surprise agréable ! Une charmante, mais néanmoins puissante, voix blonde scatte dans le style d’Ella la regrettée. Pur moment de bonheur dans un festival qui n’en manque pourtant pas. Puis un chassé-croisé en série de huit mesures opposent le sax et la fille avant d’explorer la ballade langoureuse.

Le Festival se noie et les humeurs chagrines s’en vont au lac pour s’y dissiper. La musique lénifie la douleur et la joie, du coup, existe à nouveau, proche voisine de la sérénité.

Un peu plus tard, le grand lustre du Palace se recueille et fait silence avec un public qui mélange les connaisseurs avec les familles parentes et alliées, comme on dit en d’autres circonstances. Chut ! Le concours de piano solo va auditionner celui qui sera peut-être demain l’artiste qu’on applaudira à l’Auditorium Stravinsky. Un quart d’heure pour flirter avec le bonheur, tel est la règle en ce lieu. Les jeunes pianistes s’en viennent de tous les horizons, se posant à Montreux le temps d’une respiration. Demain, ils seront aux Jardins du Luxembourg, à Paris. Peut-on être et avoir été semi-finaliste l’an dernier ? C’est l’enjeu anglais du jour. A 24 ans, l’avenir est-il encore devant soi ? Quelques appréciations de jury plus tard, il le saura !

Deux talons pointus martèlent sans vergogne l’intermède avant que ne revienne l’esprit de la musique. Des accents monkiens déferlent soudain sur la salle attentive. Trois morceaux et c’est peut-être le saut dans le professionnalisme qui se joue.

Voilà qu’un nouveau genre de boy-scout débarque sur les touches pour les apprivoiser. Avec Baden-Powell le Brésil glisse mélodieusement à nos oreilles. Sa chaleur tranche avec la froide technicité de l’est qui lui succède.

Enfin s’ouvre la première White Foundation International Sax Competition qui s’appuie sur une solide rythmique en trio. Sérieux, le jury, conscient de son rôle, prend place au premier rang.  Excusez du peu ! Lee Konitz, rien de moins, figure parmi les sages. Et David Sanborn complète une longue liste de spécialistes de l’instrument. Le premier morceau se bat avec un bec récalcitrant. Vingt-deux ans et autant de réglages plus tard, le sax s’en va, désabusé, sur une ultime tenue. A(u) revoir !

Une bonne prise de (h)anche plus tard, la compétition roule plaisamment pour la semaine. Il est des moments privilégiés qui confortent notre amour de la musique.

Le café chaud qui glisse élégamment au fond de la gorge raffraîchie par le temps constitue l’intermède idéal avant de déguster le «dessert jazz du chef». Un Pat intimiste servi sur un plateau presque trop grand pour lui balise l’espace que Wayne Shorter occupe ensuite de tous ses saxophones. Cette fois, la soirée démarre et les notes s’entrechoquent dans une ambiance qui monte. La salle est prête. Et voilà qu’agonise la Leslie sous les assauts furieux d’un B3 ravageur. Autour de lui, le saxo du groupe BWB «growle» comme au bon vieux temps du Ryhtm’n’Blues. Mais l’instrumentation glisse plutôt vers la disco funk avec des relents de mise en scène à la Bill Haley’s Comet des fifties. Le cornettiste se déchaîne en commun avec un guitariste chaud qui mixe joyeusement Wes Montgommery et les bluesmen urbains. Un Car Wash et deux Amen plus tard, la messe est dite et la foule conquise, qui poursuivra longtemps dans la nuit sa communion avec les rythmes, tant au Harry’s Bar qu’au Montreux Jazz Cafe.

Un autre demain de pluie. «La musique commence par le silence» ! Surprenante déclaration initiale pour un atelier de piano et musiques électroniques. Puis, les techniciens de la très belle salle du sous-sol du Petit Palais posent des câbles face à la luxuriance du jardin bordant le lac. Officiel dernier d’une longue série, ce workshop commence par tenter d’accorder un monde d’instruments. Du mythique B3 «leslisé» au violon électronique, en passant par le vibraphone et toutes les cordes électrifiées, ils font cercle autour de deux batteries fournies. On trouve de tout pour initier la première pièce. L’anglais s’impose naturellement comme le langage de l’aviation puisqu’il s’agit de piloter les stagiaires du jour dans leur quête du beau son.

«Stop ! Ecoutez les autres avant de jouer », telle est la musique enseignée ici.. «Loud» !  La plainte sourde du violon se superpose alors à une percussion soft s’étoffant par degrés. Des notes s’ajoutent et l’œuvre collective s’élabore en direct. Le maître corrige en apparté certaines directions. Il invite de nouveaux participants à se joindre à la fête. Des voix instrumentalisées interviennent alors. La performance enregistrée témoignera plus tard de la créativité déployée en ce début d’après-midi.

Dans les coulisses, l’ambiance monte, que l’humidité du ciel ne refroidira pas. Ce soir, Montreux sera jazz encore une fois et manouche, un peu, pour la corde grattée. «Spirit is back», dit-on en coulisses.

Soleil retrouvé, le minigolf rebouche ses trous avec application alors qu’à côté le groupe camerounais distille sa philosophie avec sagesse et simplicité. «Si vous êtes contents, nous sommes contents» ! Judicieux équilibre, note le scribe, entre les instruments électriques et ceux qui font remonter le folklore à l’histoire. Et l’assistance de danser en rond devant la scène.

Au bar du staff, le Professeur Scherly réunit son équipe après la photo-souvenir réalisée au milieu d’un soundcheck sur la scène du Miles Davis Hall, pas moins.

Dehors, la foule s’amasse près de l’entrée des artistes. La sécurité s’active, un peu plus nerveuse qu’à l’ordinaire. David Bowie arrive… enfin, presque. Le festival est bon enfant, les gens patientent en commentant l’événement à venir.

Au même instant, le Harry’s Bar tente de brancher les retours de scène pour le quintet de Gabriel Zufferey, le jeune pianiste qui monte en Suisse romande et qui affronte la critique du prestigieux Montreux Jazz Chrysler Award, du haut de ses dix-huit printemps. Une sélection des meilleurs jeunes jazzbands de Suisse, annonce le programme. Les barmen jonglent avec les commandes et les billets, dans un brouhaha d’ambiance. La famille, nerveuse, tente de survoler l’attente avec un détachement feint. Un verre explose et surprend, l’espace d’un instant. Le final peut débuter. Le maître des cérémonies cherche à capter une attention dispersée et bruyante. On applaudit le jury.

Duo de saxes sur l’habituel trio rythmique. La musique reprend ses droits avec une chaleur particulière. Un flash crépite. Ici, l’on peut !  Le ténor transperce l’indifférence d’un solo passionné. L’assistance mange. Une heure pour figurer au palmarès, c’est peu et beaucoup pour les nerfs tendus de l’avenir du jazz suisse. L’oreille qui observe se réjouit : le jazz ne mourra pas demain.

Un couple flirte tranquillement au bar, entre deux bouchées. Et les harmonies de rouler allègrement sous le plafond à croisillons. Le dos nu qui remue en cadence ravit l’œil du connaisseur. La batterie, jalouse, interromp d’un break rageur le soliloque. Le ténor enfle son discours et le piano tremble avec la scène qui s’enflamme. Le souffle de John Coltrane se fraie un chemin vers demain. Une pulsion d’enfer, en 4/4, fait décoller le quintet vers la finale… peut-être. Gabriel est heureux. Le groupe bisse à l’instant où Bowie aspire les gens vers la sortie.

L’amateur de New-Orleans, ivre et entré par erreur, se fâche au lieu de s’en aller. «Le piano était superbe, mais le batteur est nul», tranche-t-il avant de se rattraper au bar qui chaloupe.

Puis, Il arrive et la salle est en fête. Fidèle à elle-même, la quasi-légende vivante fait danser les mains par dessus les têtes, seules parties du corps qui peuvent encore bouger dans l’Auditorium Stravinsky bondé.

Les nantis sont heureux. Ceux qui n’ont pas pu entrer se rabattent sur les lieux annexes où se célèbre le jazz. Au Parc Vernex où retentissent des accents de guitare à la Django. Normal quand on se nomme Hot Club de Frank et qu’on vient de Hollande. Ou au nouveau bar sur l’avenue principale, celui qui vient d’être remis à neuf, avec ses fauteuils-coquilles à la Calimero. Là, c’est un quintet qui a réussi à se caser au fond, sans qu’on voie très bien comment dans la pénombre bleutée qui règne en ces lieux. Au Miles Davis, c’est l’Afrique qui explose les tympans avec des rythmes dansants.

à suivre ….

Chroniques du Montreux Jazz Festival 2002

L’ultime accord . . . du dernier week-end

Vendredi, 18h.30, le Harry’s Bar fait la fête aux meilleurs jeunes groupes de jazz helvétiques. Quoique l’heureux gagnant semble avoir une origine plus proche des quarts de tons asiates que de nos harmonies en demi-tons, sinon en demi-teintes.

Au vu de la qualité de cette cuvée, le jury attribue encore des prix spéciaux. Avec la chanteuse vedette de cette édition 2002, le spectateur ne peut s’empêcher de rêver être le «you» de son «I» tout en douceur. Le charme du scat émerge superbement des nappes de sons développés par la guitare électro-acoustique Godin qui la soutient ce soir. Avec cette voix, aujourd’hui semble déjà yesterday tant l’on ne voit pas le temps passer. Et la mini-maracas de caresser le beat.

Gabriel est aux anges puisqu’il rejoint le paradis des primés, comme prévu. C’est le pianiste qui est honoré, mais aussi le compositeur-arrangeur. Une walking bass ronflante lui permet de développer une impro rageuse, avant de s’envoler sur une autre planète où la mélodie chante le bonheur existentiel.

Soudain, les portes de la 4e dimension s’entrouvrent et il en jaillit une multitude à flots continus. Le Montreux Jazz triomphe. Le dernier week-end s’amorce comme s’il était le dernier de la création. Tout est prétexte à festoyer de concert.

 Les terrasses sont bondées. On n’avance plus sur les quais et le service accélère pour accroître le chiffre d’affaires. Une noire somptueuse tricote ses cheveux, inattentive au bavardage de son compagnon. Et la nuit tombe, qui voit le navire de la CGN arriver toutes illuminations déployées. Que ces reflets multicolores sont majestueux dans leur lent cheminement !

L’on se précipite et l’on s’arrache les polos, les casquettes, les disques, les livres-cultes, de peur d’en manquer demain. La collection se doit d’être exhaustive pour les habitués.

Ike Turner ressort de sa boîte et nous ramène les sixties avec une fausse Tina plus panthère que nature. Il rajeunit à son contact et nous aussi nous laissons emporter plus haut. «Higher» ! Les septantenaires ont, décidément, la pêche à Montreux. BB King, Wayne Shorter, Ike, tous brûlent les planches et nous font oublier, avec nos années enfuies (qui a dit enfouies ?) dans les coulisses du Festival, nos peurs du lendemain.

Au Royal Plaza, on «rock’n’rollise» sous les palmiers avec un trio new-yorkais qui squatte la scène du musicien maison. «Yeah, let the good times roll», crie le ténor sous la voix cassée à souhait. La jolie blonde, debout, opine du chef en marquant le rythme élégamment, de la pointe du pied. Le sax en perd son souffle. Elle n’a d’yeux que pour lui, promesse infinie…

Samedi, 13 heures, les paupières se font lourdes, le soleil est au zénith, le dernier workshop, consacré aux mythiques orgues Hammond, tarde à se mettre en place, devant une assistance clairsemée.  Il est vrai qu’il constitue une bonne surprise hors programme et que l’info n’a pu vraiment se faire. Certains dorment encore. Diable, la nuit sera rude pour l’apothéose finale du Festival de Jazz de Montreux, trente-sixième du nom.

De Los Angeles aux rives du Léman, il n’y a qu’un jet. Apprivoisant les claviers depuis l’âge de quatre ans, le maître officie. L’orgue supplante le piano parce que «the note remains» tant que vous la jouez. Petite révision linguistique en entrée, éducation de l’oreille en plat principal et démonstrations en guise de dessert, telle est la carte. Le Steinway affronte le Fender Rhodes sur un fond de B3. Quatre cents livres de musique pure, tel est le poids de la renommée !.

Quelques bases d’acoustique plus tard, on passe en revue l’attaque progressive des notes, puis l’entrelac de fils du système interne de l’instrument. Les nouveaux Hammond ? On n’en parlera pas ici ! Seules les légendes électro-acoustiques ont droit de cité pour l’animateur. «I prefer the real thing», avec une Leslie s’il vous plaît. Ces hauts-parleurs rotatifs font la magie du Hammond. Les accompagnateurs arrivent et la musique existe à nouveau pour notre plaisir. . Et le temps s’échappe langoureusement vers le jardin du Palace.

Stravinsky se chauffe en douceur, les quais explosent, on ne bouge quasiment plus sur les terrasses, les échoppes vendent, soldent, bradent. L’alimentaire calme les petites commes les grandes faims. La fin approche comme le bouquet de ce feu d’artifice que fut le Montreux cuvée 2002.

Au même moment, Claude Nobs, le patron, préside la dernière conférence de presse. Les journalistes, gentils ou fatigués par cette quinzaine de toutes les folies, ne posent pas de questions trop pointues. Du coup, la griffe Kidjo peut se déployer, angélique. En salle de presse, d’abord, puis sur la grande scène.

La House se déchaîne au Miles et l’on se presse toujours au Jazz Café. Au bout du quai, sur la scène ouverte, le meilleur pianiste russe du moment se produit gracieusement pour les badeaux venus là sans savoir.

Une plume passe dans la foule. Elle déroule son fil bleu pour achever la chronique, puis monte écouter le Cocker du jour, qui se respecte à nouveau. Et la magie d’ensorceler l’assistance qui oscille en cadence, charmée par le rythm’n’bluesman blanc. La nuit s’envole, une fois encore …, la dernière !

Et le petit matin gris du lendemain des hiers festifs voit le quai solitaire compter ses déchets que de zélés serviteurs, soudain nostalgiques, enlèvent avec application. A sa terrasse de prédilection, déserte aujourd’hui, l’observateur du début laisse le silence l’envahir, là, simplement las.

Marc Biderbost


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