B I E N V E N U E

Sur le site de Marc Biderbost

Artiste, Créaticien, Enseignant

 
Activités

Textes choisis 1

C O N S C I E N C E


La conscience ! Ce n’est qu’un mot, mais il cache (ou révèle, selon le point de vue) tout un monde. Vous êtes-vous déjà interrogé à son propos ? La conscience ? tout le monde en a une, dit-on couramment. Et pourtant, ce n’est pas si simple.

Tenez, moi qui vous parle… ou, plutôt, moi qui essaie de vous parler… vous ne m’entendez pas. Je dirais que vous n’avez pas conscience de ma propre existence. Jamais, vous ne vous demandez ce que je ressens, oui, là, chaque jour.

Vous me prenez (notez, au passage, la relation de dépendance dans laquelle vous m’enfermez, ce faisant). Vous me prenez, donc, et vous me dirigez où bon vous semble. Pas une seule fois, vous ne vous demandez si je suis d’accord, si la destination me convient, ou si j’aurais, éventuellement, une autre proposition.

Non ! Vous me prenez et, pas un instant, vous n’avez conscience de ma propre conscience. Ben oui, j’en ai une aussi. Oh ! Peut-être pas tout à fait la même que la vôtre. Mais, enfin, j’en ai une, bien à moi. Qui me fait souffrir, parfois, comme la vôtre.

Croyez-moi, se retrouver dans des circonstances où l’on porte atteinte à autrui pose une profonde interrogation sur le sens de la vie. Le fait de ne pas avoir choisi l’atteinte à l’autre ne délivre pas de la question. Le bien, le mal, où passe donc la frontière ? Et où se situe la responsabilité ? Suis-je tenue de l’assumer, dès lors que c’est vous qui conduisiez ? Où dois-je en assumer une part, voire l’intégralité ?

Tentons de clarifier le débat et voyons ce qui s’est passé hier au soir. Mon maître m’a prise (remarquez, au passage, le manque de subtilité du langage pour décrire ce rapport de force. Votre conscience n’en a cure… de la mienne, veux-je dire, mais, bref, passons !). Donc, mon maître m’a prise et, sans solliciter mon opinion, m’a jetée contre trois de mes cousines sur le Quai Sarrail.

Ce fait, en soi, mériterait qu’on l’analyse, en terme de conscience. L’a-t-il fait consciemment, volontairement, affaire de nuire ? Ou ce premier accroc résulte-t-il, plus simplement, d’une distraction ? Mais alors, que restait-il de sa conscience ? Oui, la sienne propre.

De mon côté, j’ai eu conscience d’un horrible froissement de mon aile avant droite. De cela, personne ne s’est préoccupé. Pas plus, d’ailleurs, que de ce qu’ont ressenti mes malheureuses cousines, soudain heurtées dans leur amour-propre !

Mais ce n’était qu’un début. La soirée s’est poursuivie, plus tard, près de la Part-Dieu. Au feu rouge, mon maître n’a pas réagi. Comme si ce signal se fut perdu au niveau d’inconscience.

Et ce fut le drame ! Dont le souvenir me hante encore à l’heure où je tente de vous communiquer mes états d’âme.

Figurez-vous qu’au carrefour, c’est ma propre sœur, elle aussi dénommée Fiesta, que j’emboutis. Pénétrer ma propre sœur, est-ce bien de l’inceste ? Vous comprendrez que ma conscience en est toute retournée et que j’en reste là pour aujourd'hui !     

(texte écrit à Lyon, à l'occasion d'un stage d'écriture dirigé par Judith Lesur, que je salue au passage) 

 

 

L E    C H A L E T    D E    F E U ,  F A I T   D ' H I V E R

 

Ils étaient morts. Tous les cinq. Carbonisés. La radio l’a dit. Un dimanche matin. Dehors, le temps était radieux. Moi, j’avais six ans. C’était insupportable. Mon cœur pleurait. Mon esprit savait. Qu’ils ne reviendraient pas. La douleur empathique était trop forte. Mais j’avais ma trompette-jouet. En métal. A l’époque, on les faisait encore en métal. Le plastic n’est venu que plus tard. La souffrance venait par vagues puissantes. Je n’en pouvais plus. C’était intolérable. Ma trompette avait trois notes. Pas plus. Avec trois pistons. En métal, eux aussi.

Ils étaient partis. Tous les cinq. Suffoqués. La voix dans le poste l’avait confirmé. Une journée comme les autres. Avec du soleil partout. J’étais comme eux. Mais vivant. Avec des cendres au cœur. Et une grande tristesse. Une sensation d’éloignement. Que je savais définitif. Inconsciemment. Mais clairement. Ma trompette au bout des mains. Il fallait que je le fasse. Alors j’ai joué. Toujours les mêmes trois notes. Enchaînées. Comme leur vie devait l’être maintenant. Et j’ai marché. En rond. Dans le salon. Durant cinq heures d’affilée. Le même parcours. La même mélodie. Le même chagrin.

Ils avaient disparu. Comme ça. D’un coup. En hurlant : « maman … » ! Mais elle n’était pas là. Personne n’était là. Sauf les terribles flammes. Et cinq petits tas de cendres. La veille, ils chantaient. Puis le sommeil était venu. Et la peur. Et la douleur atroce. Et ces cris d’effroi devant l’inéluctable. Ils avaient peu vécu. Confiants dans leur avenir. Parti, lui aussi. Soudainement. Dans un chalet de bois. A flanc de montagne.

Je jouais. Avec ma trompette. Les mêmes notes. Sans cesse. Les yeux gorgés de pluie. Un peu salée. Venant de l’intérieur...  Ils étaient cinq. J’étais comme eux. Et je souffrais leur tourment. Et je soufflais dans l’instrument. Ce souffle qui leur avait manqué. Pour les accompagner. Dans leur long, très long, voyage. Vers l’infini … ou ailleurs !

Ils étaient cinq. J’étais seul. Et j’ai manqué de souffle. Moi aussi. Un dimanche matin.

Marc Biderbost, le 12 juin 2014

 

 

L A   G U E R R E   D E S   C H A I S E S 

 

C’est ce samedi matin-là que la guerre des chaises a éclaté. Plus particulièrement dans cet antre étonnant, mariant world, épices, artisanat d’art et velléités littéraires à des senteurs chocolatées ou légèrement infusées.

L’éclat du soleil, déchirant la trame nuageuse et se réfléchissant sur les murs d’en face, servit de signal au déclenchement des hostilités. Inversion ambiguë de la réalité, les gens entraient au Balzac Café au moment où le froid extérieur, vif depuis l’aube, s’atténuait.

Et ce fut la ruée sur les quelques tables assiégées. « Puis-je vous emprunter cette chaise ? » devint le leitmotiv de la nouvelle croisade matinale. Subrepticement, profitant d’un acquiescement amusé du voyageur en transit, les mains lestes du bonhomme tentèrent d’en saisir deux. « Non ! Non ! J’attends quelqu’un, alors vous m’en laissez une.. ». Sitôt exprimée, la protestation fut respectée. Mais l’attention s’est aussitôt reportée sur la table du couple voisin. Changement de tactique. Le sympathique agresseur donne dans la subtilité tout à coup. « Puis-je prendre votre sac, madame ? ». Et le rire de surgir aussitôt, illuminant un peu plus ce coin de bistrot. La chaise s’en fut donc, objet d’échange subtil.  

Le terrain de la bataille se déplaça soudain et c’est la file d’attente des armées qui préparent leur entrée en lice. « J’ai fait la queue pour toi.. », dit une dame à la nouvelle arrivante.  

Et les minutes de s’enfuir pour celui qui attend la ravissante inconnue qui ne manquera pas de surgir dans un moment.  

Imperturbables, les serveuses au curieux et coloré tablier de brasserie, slaloment dans la joyeuse cohue pour délivrer leurs boissons fumantes et odorantes.   

Puis, s’en vient l’énième poussette « grand large » qui tente de se frayer un passage entre deux tables. Et l’on s’extasie, comparant les bouilles épanouies des bébés, ravis de se retrouver au centre du monde. C’est là que débute l’ego, probablement. La descendance freudienne ne manquera pas de travail demain ! 

La mère en profite pour savourer le fond de la tasse en cherchant à recueillir les dernières gouttes du précieux nectar avec sa petite cuillère. Elle s’applique, avec toute l’inconscience de la futilité.  

Les plantes vertes oscillent en cadence au passage de la serveuse, celle qui sourit toujours, heureuse de vivre ici, au cœur du bonheur.  

Un cosmonaute, tout de rose vêtu, s’extrait de son emballage protecteur afin de porter un regard curieux sur l’environnement proche.  

A côté, la plume zèbre la page vierge d’un mouvement discontinu, figeant cet instant d’éternité.   

Le temps n’ose plus regarder la montre qui rythme imperturbablement la mélodie de l’oubli. Autrefois, c’eût été le début d’une fin. Aujourd’hui, le mobile permet de sauver les situations compromises et de rattraper l’étourdie avant qu’elle ne se perde au fond du lit.  

La musique, obsessionnelle et à relents africains, couvre par instants le bruit des machines à café. Elles expulsent en force l’air chaud et donnent vie à ces essences chocolatées qui flattent les papilles de l’attente. Les délices se vivent au présent sous la bedaine rayonnante d’Honoré.  

Sur l’étagère, les curieuses lampes biscornues jettent quelques lueurs colorées pour marquer leur présence. Elles compensent les nombreux départs, lorsque l’estomac installe sa dictature.   

Marc Biderbost

 

Morges, 23.11.2002

 

 

 

 

 

 


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